lundi 21 janvier 2013

14, Jean Echenoz

 14 de Jean Echenoz

Aux Éditions de Minuit,octobre 2012

14: quatorzième roman de Jean Echenoz dont le sujet est la guerre de 14.
Il s'agissait de ma première lecture de cet auteur contemporain dont j'ai apprécié l'écriture.
Le roman est court, le propos précis, sans détours mais la narration distante,impersonnelle.
Cinq hommes partent à la guerre, deux seulement en reviendront. Echenoz nous livre, dans un style net et incisif, la mobilisation, les illusions, le froid, la faim, la solidarité, la solitude, les rats, les poux, l'épuisement, l'hébétement de ces hommes pendant cette guerre qu'ils pensaient ne durer que quinze jours.
Echenoz emploie régulièrement les tirets pour effectuer des parenthèses morphosyntaxiques dans ses phrases, marquant ainsi des lignes tronçonnées, des tranchées de caractères.
"L'un des matins suivants, assez semblable aux autres, la neige a pris le parti de tomber en même temps que les obus- certains pas au même rythme: ils étaient un peu moins nombreux ce matin-là, seulement trois jusqu'ici-, cependant que Padioleau prenait celui de se plaindre."  

Pas d'échappatoire, les mots nous le martèlent, la guerre est là et ses victimes se noient dans la boue:
"Les épargnés se sont relevés plus ou moins constellés de fragments de chair militaire, lambeaux terreux que déjà leur arrachaient et se disputaient les rats, parmi les débris de corps çà et là- une tête sans mâchoire inférieure, une main revêtue de son alliance, un pied seul dans sa botte, un œil."

Quel trésor! de Gaspard-Marie Janvier

Quel trésor! Gaspard-Marie Janvier

Aux Éditions Fayard, mai 2012.

David Blair, ultime héritier d'une maison d'édition familiale écossaise au bord de la faillite, remet la main sur une carte au trésor. Serait-ce bien l'originale dessinée par Stevenson en 1881 pour l'intrigue de L'île au trésor ?
David décide d'échapper au tumulte judiciaire qu'impliquent ses affaires de succession en s'exilant sur les îles Hébrides au nord-ouest de l’Écosse et accoste sur Farà, île minuscule où les habitants ont le caractère bien trempé (par l'écume de la mer salée et la mousse de la bière insulaire).

C'est dans l'atmosphère brumeuse et enjouée du Lord of the Isles, le pub local, que nous faisons la rencontre d'Alasdair McDiarmid, figure patriarcale de Farà, géant aux mille talents, toujours accompagné de Lady Franklin, vieille pie apprivoisée, fidèlement perchée sur son épaule; de Warluis, aviateur français, grand aventurier des airs, tombé sous le charme de l'île et du père Mapple, convertisseur d'âmes par le prêche ou par la pinte...
Les nouveaux compagnons de Blair s'enflamment à l'évocation de la carte au trésor et le convainquent de partir à la chasse au magot de l'Invincible Armada! 

Le style de Gaspard-Marie Janvier, aérien et élégant, nous fait rêver et voyager à travers l’Écosse, l'aventure stevensonienne, les récits d'enquête policière...
Le lecteur laisse, avec délectation, ses sens et son imagination vagabonder au gré des embruns farais, de l'odeur de la "gibelotte Trafalgar", ragoût de volatiles marins macérés dans le whisky avec des épices et des fruits secs, et de la saveur de la bière "crémeuse, mousseuse, rousse ou noire" servie à foison!

Un magnifique roman à trois voix, une écriture riche,drôle et originale, un joyau littéraire!
Élu meilleur roman français 2012 par le jury du magazine LIRE.

dimanche 20 janvier 2013

Django Unchained

Un Tarantino déchaîné!

Dès sa sortie, nous nous sommes ruées au Max Linder Panorama avec les copines!
2h44 de pur Tarantino!!! Pas de déception, pas de surprise non plus, on est bien devant un film du maître: une B.O impeccable, un hommage au western-spaghetti plus que réussi, un casting irréprochable et du rouge, beaucoup de rouge...




Le casting:  
Après Inglorious Basterds, Quentin Tarantino a fait de nouveau appel au fameux Chritoph Waltz pour incarner le rôle du Dr Schultz, un dentiste-chasseur de primes au langage châtié  qui semble plus doué pour arracher des têtes que des dents... Brad Pitt a cédé la place à Leonardo DiCaprio, sublime en patron de la plantation Candyland (ahah!), affreux amateur de combats à mort entre esclaves. Jamie Foxx endosse, quant à lui, le manteau du rôle principal, Django, esclave libéré par Schultz pour traquer les Frères Brittle, des criminels dont la tête a été mise à prix. Mais Django désire une chose plus que tout: retrouver son épouse Broomhilda (Kerry Washington, belle mais un peu fade). Les deux hommes vont devoir faire bien des kilomètres, surmonter bien des obstacles pour la rejoindre!
Enfin, 'last but not least', Samuel L. Jackson, extraordinaire en serviteur dévoué à son maître jusqu'à en être plus raciste et haineux envers les siens que les esclavagistes!

Le son:
Noyau de la création cinématographique de Tarantino, la bande son du film est sans reproches, énergique, cathartique, jouissive! Bel hommage que de reprendre la musique du générique du film  Django de 1966 réalisé par Sergio Corbucci.
On retrouve des classiques tels que Ennio Morricone et Jim Croce et le gros rap bourrin de Rick Ross qui s'avère tout de même bienvenu.

L'image:
On savoure toujours la cinéphilie sans failles de Tarantino qui multiplie les références à Sergio Leone et aux westerns des années 60 et les renvois à sa propre esthétique qui réjouiront les fans: acteurs fétiches, explosions d'hémoglobine à la Kill Bill, jeux d'ombres, violence stylisée jusqu'à la caricature, etc. Sa maîtrise du 7ème art reste incontestable: travellings impeccables, zooms sur les attributs du cow-boy (le revolver, les bottes, le regard qui tue...), rythme explosif, scènes de combats mémorables, tout y est!
La scène d'ouverture offre un magnifique plan de paysage rocheux américain et les plantations du sud des États-Unis parcourent le film.

L'humour:
Ne nous limitons pas à nous délecter de la bande son, des acteurs, des paysages et de l'esthétique ultra-violente de Django Unchained, il reste à goûter les dialogues et l'humour tarantinesque distillé ça et là.
On retiendra l'habit de "valet" choisi par Django, l'éjection fantastique du personnage de Laura ("Say goodbye to Miss Laura") ou encore la scène des hommes "ensacés" qui fait un bon pied de nez au Ku Klux Klan!


Dans ma discothèque, il y a...

Gramatik, Muy tranquilo

lundi 14 janvier 2013

Le chant de la steppe

Un extraordinaire voyage musical à travers les steppes mongoles m'a été proposé vendredi soir dernier à l'auditorium du Musée Guimet !

J'ai découvert la pratique du "chant long", un art vocal mongol qui repose sur un chant aérien dont les syllabes sont prolongées et nécessite une tessiture considérable, une virtuosité dans l’improvisation rythmique ainsi qu'une grande maîtrise respiratoire. Qualités détenues par la formidable chanteuse Baadma. L'ouïe des spectateurs est flattée mais leur vue n'en est pas délaissée pour autant: les habits traditionnels portés par le trio sont resplendissants de richesse et de finesse dans leurs brodures et les couvre-chefs de Baadma laissent rêveur...

Les chants et la musique mongols puisent leur inspiration dans la culture nomade, la nature (notamment par la louange du cheval) et les mythes cosmogoniques ancestraux. Ils tentent d'exprimer cette relation spirituelle et cosmique avec la nature. J'ai effectivement ressenti ce fort lien à la nature à l'écoute de ces chants majestueux. On s'imagine aisément parcourant l'immensité des steppes, bravant le vent et le froid (la température peut atteindre -40 en hiver!) à dos de cheval...
Les deux musiciens, Naranbaatar Purevdorj et Nasanbaatar Ganbol, accompagnent la chanteuse au luth et à la vièle morin khuur (dite, vièle "à tête de cheval"), instrument à deux cordes, emblématique de la tradition musicale mongole.
La légende dit: “Il y a très longtemps, un chanteur de grande réputation fut mobilisé par l’armée et envoyé à la frontière de la Mongolie. Il y rencontra une belle princesse qui lui fit cadeau d’un cheval ailé. Une femme jalouse découvrit son secret et coupa les ailes du cheval. Celui-ci mourut aussitôt. L’homme était très triste, il se mit à sculpter la tête de son cheval sur un manche, qu’il fixa sur un bol en bois recouvert de la peau de l’animal. En prenant quelques mèches de crin pour confectionner l’archet et les cordes, il parvint à en imiter le hennissement.”

Nabaar et Nasaar pratiquent aussi le chant diphonique, une technique vocale qui fait entendre deux sons simultanés : un bourdon grave et rauque et une mélodie aiguë à partir des harmoniques de la fondamentale. Ce sont ces prouesses vocales qui m'ont le plus surprise! Cette technique fait entendre des sons gutturaux envoûtants et mystérieux qui résonnent encore dans ma tête. On croirait la musique d'une guimbarde sortie des seules cavités buccales et nasales des chanteurs!

Une magnifique découverte musicale que ces chants de la steppe mongole!
Un extrait à écouter ici