samedi 4 mai 2013

Trois Femmes puissantes, Marie NDiaye

Tandis que le nouveau roman de Marie NDiaye, Ladivine, paru chez Gallimard en février dernier parle lui aussi de trois femmes aux prises avec le merveilleux et la pression de l'appartenance familiale, je publie enfin un article sur Trois Femmes puissantes qui valut à son auteure le prix Goncourt en 2009.

Il s'agit d'un roman composé de trois histoires qui nous dressent le portrait développé ou seulement suggéré de femmes entre la France et le Sénégal qui sont confrontées à la violence, la réalité décevante et douloureuse, la pression familiale, l'indifférence ou l'indécision des hommes mais qui luttent pour reprendre en mains leur destin.
Quel est le fil d'Ariane qui nous permet de lire ces trois récits comme une unité?
Qui sont ces trois femmes "puissantes" pourtant malmenées, humiliées, voire dégradées par la narration?

Il y a d'abord Norah, 38 ans, avocate parisienne, femme émancipée et ambitieuse qui accepte de se rendre en Afrique à la demande de son père alors que ce dernier l'a abandonnée trente ans auparavant pour acheter un village de vacances prospère au Sénégal et y élever son unique fils Sony. Confrontée à des souvenirs profondément ensevelis et à la déchéance d'un père autrefois dominant, Norah va tout faire pour sortir Sony de prison, accusé du meurtre de sa belle-mère. La puissance de Norah réside dans sa persévérance et sa détermination.

Il y a Fanta, devenue professeure de lettres au lycée Mermoz de Dakar par la force de son opiniâtreté et de son travail acharné. Fière, belle, intelligente, elle épouse Rudy Descas, un Français, svelte et beau parleur qui l'emmène au fin fond de la Gironde où elle perd peu à peu ses rêves, ses ambitions et son amour pour lui. Mais à travers le monologue intérieur de Rudy, elle apparaît comme une figure mystique et toute-puissante, buse menaçante qui conduit son époux sur le chemin de la réaffirmation de soi.

Enfin, le dernier récit nous présente, dans un réalisme violent, Khady Demba, une jeune veuve sans descendance, rejetée par sa belle-famille et forcée à l'exil. Khady, dans son calvaire vers la France, sera violentée par les hommes, trahie et volée par son compagnon de route, Lamine. Cependant, la tête haute, toujours, Khady criera au monde son existence jusqu'à la fin.
« De telle sorte qu’elle avait toujours eu conscience d’être unique en tant que personne et, d’une certaine façon indémontrable mais non contestable, qu’on ne pouvait la remplacer, elle Khady Demba, exactement, quand bien même ses parents n’avaient pas voulu d’elle auprès d’eux et sa grand-mère ne l’avait recueillie que par obligation- quand bien même nul être sur terre n’avait besoin ni envie qu’elle fût là. »

Si chacune de ces trois histoires raconte une brisure, Marie NDiaye délivre ses personnages au fil du récit et donne l'espoir d'une réconciliation, d'une réparation par le biais de la métamorphose et de l'allégorie des oiseaux.
La plume de Marie NDiaye, voluptueuse et tendre en surface n'en reste pas moins aiguisée et incisive, apte à dévoiler toute une profondeur introspective. Trois Femmes puissantes est une plaie béante qui invite le lecteur
à plonger au cœur de l’intime. Marie NDiaye donne une voix à ces femmes souffrantes qui endurent humiliation, violence et désillusion sans abandonner leur « inaltérable humanité ».
A travers ces trois récits, l’écrivain franco-sénégalaise nous conte l’histoire d’une épiphanie, celle de la métamorphose de femmes puissantes à qui l’on a coupé les ailes mais qui parviennent tout de même à prendre leur envol.
« C’est moi, Khady Demba, songeait-elle encore à l’instant où son crâne heurta le sol et où, les yeux grands ouverts, elle voyait planer lentement par-dessus le grillage un oiseau aux longues ailes grises_ c’est moi, Khady Demba, songea-t-elle dans l’éblouissement de cette révélation, sachant qu’elle était cet oiseau et que l’oiseau le savait. »




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